SICILIENNE (ÉCOLE), littérature

SICILIENNE (ÉCOLE), littérature
SICILIENNE (ÉCOLE), littérature

SICILIENNE ÉCOLE, littérature

On regroupe sous le nom de Siciliens les poètes de la première «école» poétique italienne, dont la naissance et la floraison coïncident avec le règne de Frédéric II Hohenstaufen (1194-1250) et le rayonnement de la cour de Palerme sur le reste de la péninsule. La politique culturelle du monarque embrassait tous les secteurs du savoir: droit, sciences naturelles, philosophie, études latines et grecques, poésie et épistolographie latines, poésie en langue d’oc. La poésie sicilienne n’est donc que l’un des aspects de cette activité, mais non le moins intéressant puisque c’est avec elle que naît en Italie une production autochtone, mère de la grande tradition lyrique italienne.

Les Siciliens sont les héritiers directs des Provençaux, de leurs règles formelles et, en partie du moins, de leur thématique. Imitateurs (à l’origine cette imitation consiste souvent en une traduction quasi littérale des grands textes occitans), ils fondent peu à peu une poétique originale. Par sélection tout d’abord: le sirventès politique et moral, la satire, les motifs comiques présents dans la poésie d’oc sont négligés au profit d’une inspiration presque exclusivement amoureuse. Par transformation, ensuite, de l’érotique des troubadours. Le fin’amors des Occitans, avec son cortège de valeurs courtoises liées au service de la Dame, et sa mise en scène régie par la loi du secret, cèdent très tôt le pas à des considérations philosophiques sur la nature de l’amour. Le De amore d’André le Chapelain, connu en Italie dès les années 1230, enrichira ce débat théorique de toute une casuistique des situations amoureuses que l’on retrouve d’ailleurs chez les derniers troubadours.

Cette orientation spéculative coïncide avec les intérêts scientifiques du milieu intellectuel de la cour (d’où sortent les premières traductions latines des œuvres d’Aristote). Elle s’accorde aussi avec la personnalité des auteurs, qui sont en majorité de hauts fonctionnaires de l’administration royale, et possèdent donc une formation juridique: la poésie sicilienne est pour l’essentiel l’œuvre d’amateurs éclairés et non de professionnels, comme c’est le cas pour la plupart des troubadours. Ce trait sociologique sera une constante de la lyrique italienne du Moyen Âge. Un autre phénomène va dans le même sens: l’émancipation du texte écrit par rapport à la musique, émancipation qui favorise l’émergence d’un discours logique, voire dialectique, d’une subtilité parfois chicanière, et non soumis à la circularité d’une mélodie.

Tout cela engendre des innovations sur le plan des formes. À la chanson et à la ballade héritées des Occitans — objets d’une recodification dont Dante, au début du XIVe siècle, sera le premier et le dernier théoricien —, vient s’ajouter le sonnet, forme non chantée dès l’origine. Cette forme, dont Baudelaire exaltera des siècles plus tard la beauté «pythagoricienne», présente à l’origine l’avantage d’être courte, donc aisément mémorisable, et destinée prioritairement aux échanges (la majorité des tensons siciliennes puis toscanes sera constituée de sonnets), à la démonstration courte en quatre moments articulés, au message épigrammatique tout entier construit en fonction de la «chute». Diverses thèses se sont affrontées à propos de la genèse du sonnet; la plus vraisemblable est qu’il provient d’une strophe de chanson (reposant déjà sur deux parties, avec changement de rimes).

Il faut enfin préciser que la langue utilisée par ces poètes est un sicilien épuré de dialectalismes trop voyants, farci de latinismes et de gallicismes. Une langue dans une certaine mesure artificielle, que les Toscans n’auront aucun mal à «traduire» (et d’ailleurs une bonne partie de ces textes nous est parvenue dans des manuscrits toscanisés): en somme le premier modèle de ce vulgaire «illustre» que Dante se proposait de définir.

Le père fondateur de cette poésie est le notaire impérial Giacomo da Lentini (inventeur probable du sonnet), actif dans les années 1220-1240. À la même génération appartiennent le juge Guido delle Colonne (de Messine) né vers 1210, Iacopo Mostacci et Pier della Vigna, originaire de Capoue, également auteur de poésies et d’épîtres en latin, notaire et chancelier de l’empereur dont il devait devenir en 1247 le logothète officiel. Citons aussi Percivalle Doria, noble d’origine génoise, et poète en langue d’oc outre qu’en sicilien. D’autres auteurs comme Stefano Protonotaro ou Mazzeo di Ricco appartiennent à la génération suivante. On ne saurait oublier le roi Enzo, fils de Frédéric II, né vers 1220 et mort en 1272, figure légendaire et excellent poète. Il est plus difficile de situer chronologiquement Rinaldo d’Aquino (peut-être un frère de saint Thomas) et Giacomo Pugliese.

Enfin, étranger à la métrique comme aux thèmes de la poésie lyrique, le Contrasto de Cielo d’Alcamo (écrit entre 1231 et 1250) est un poème dialogué dont les interlocuteurs sont un séducteur (peut-être un jongleur) et une paysanne. Ce texte, qui rappelle les pastourelles occitanes et mélange les formules de l’amour courtois et les expressions dialectales, est un exercice parodique dont Dario Fo, de nos jours, a fait l’un des morceaux de bravoure de son spectacle Mistero Buffo .

Encyclopédie Universelle. 2012.

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